jeudi 9 juin 2016

Introduction à la linguistique II



1.1 Description versus prescription

Les définitions présentées ci-dessus ont comme point commun la description de l’utilisation de la langue, soit dans des circonstances différentes (dans des contextes différents comme en sociolinguistique par exemple) ou d’un point de vue particulier (comme la compréhension de la parole, en psycholinguistique par exemple). On tente de décrire le fonctionnement de la langue soit dans le but de comprendre son fonctionnement, soit pour comprendre le fonctionnement du cerveau, lieu des processus cognitifs et, par le fait même, d’utilisation de la langue.

Il est bien important de voir que le but poursuivi par les linguistes n’est pas de prescrire l’utilisation de la langue. Une telle approche mènerait le linguiste à relever les fautes d’orthographe, ou d’accord du participe passé en français par exemple. En réalité, lorsque les gens font ce que l’on appelle des « écarts de langage », ils révèlent souvent des caractéristiques très intéressantes d’une langue qui sont reliées aux exceptions grammaticales (verbales, accord des adjectifs par exemple) ou aux particularités dialectales de la variété qui est étudiée. Alors, lorsqu’un locuteur du français dit : « Ils jousent au hockey », il ne fait que généraliser le patron de conjugaison à un verbe irrégulier. Cette forme présente donc un intérêt certain d’un point de vue linguistique, car elle permet d’expliquer la structure des patrons de conjugaison.

Ceci étant dit, c'est un but tout à fait noble et valable de prescrire l’utilisation de la langue. Cette prescription est essentielle dans le but d’instaurer un standard en vue d’une intercompréhension entre toutes les communautés francophones. Par contre, et contrairement à l’opinion parfois véhiculée dans le public, cette responsabilité revient plutôt à ceux qui font les politiques linguistiques d’un pays ou état, de même qu’aux professeurs de langue plutôt qu’aux linguistes.

1.2 Grammaire et linguistique

La notion de "grammaire" est primordiale en linguistique. Contrairement à la définition plutôt traditionnelle, elle ne réfère pas à l'ouvrage de référence qui contient une liste de règles que l'on doit suivre pour faire des phrases bien formées en français. Elle réfère à toutes les règles de formation d'énoncés utilisées pour communiquer correctement dans une langue (et qui sont différentes d'une langue à l'autre). Plusieurs linguistes considèrent de nos jours la grammaire d'un locuteur comme étant un "modèle de compétence idéale qui établit une certaine relation entre le son et le sens." (Dict Ling Larousse)

L’une des préoccupations des linguistes est de comprendre le fonctionnement du langage d’un point de vue cognitif. Comme il est impossible, en pratique, de déterminer le fonctionnement exact du cerveau lorsque l’on utilise une langue (production ou compréhension), il est nécessaire de construire des modèles théoriques qui vont dupliquer ce fonctionnement. Le modèle parfait de fonctionnement du langage nous permettrait de dire que nous comprenons parfaitement et entièrement le fonctionnement de ce phénomène complexe, et ce, dans toutes les circonstances. Nous sommes encore loin d'avoir atteint ce but.

Les analyses ont donc pour but de construire des modèles théoriques ou de raffiner les modèles déjà existants. Ces analyses procèdent souvent à partir d’un ensemble d’énoncés (phrases, mots, etc.) duquel seront extraites un certain nombre de généralités. Cet ensemble d'énoncés contiendra des énoncés qui sont soit grammaticaux soit agrammaticaux, c'est-à-dire qui satisfont ou non aux règles de formation de phrases dans une langue donnée. Ces généralités permettront au linguiste de faire des abstractions sur un point théorique particulier.

Les analyses effectuées procèdent à l’aide d’une méthodologie rigoureuse qui permet de reproduire les résultats de façon constante. Cette méthodologie n’est pas étrangère à celle utilisée dans d’autres domaines scientifiques comme la physique ou la chimie. La méthodologie utilisée par le chercheur est en général approuvée par la communauté linguistique et considérée valable. On voit mal en effet un chimiste essayant de créer une nouvelle molécule avec une toute nouvelle méthodologie truffée d’erreurs et obtenant cette nouvelle molécule seulement dans 50% des cas.

Le linguiste, lui, a la tâche de déterminer les énoncés qui sont valides dans une langue, c'est-à-dire déjà été entendus ou qui sont conforme aux règles grammaticales d’une langue comme nous les connaissons. Ceci mène à la distinction entre les énoncés qui sont jugés grammaticaux, agrammaticaux, ou acceptables :

• Grammatical : qui respecte les règles de la grammaire d’une langue (par ex. : « Le petit chien joue dans le parc. »)

• Agrammatical : qui viole les règles de la grammaire d’une langue (par ex. : *« Petit le chien joue parc le dans. ») À noter que l’astérisque, « * », indique que l’énoncé est agrammatical.

• Acceptable : énoncés qui sont ou pourraient être compris ou produits par une les membres d’une communauté linguistique sans effort particulier sans nécessairement être grammatical. (par ex. : « J’ai acheté un échelle » –échelle est considéré comme féminin et non masculin, ce qui rend l'énoncé agrammatical mais néanmoins acceptable). Il existe plusieurs degrés d'acceptabilité.


À la suite des observations précédentes, nous pouvons considérer la linguistique comme étant:

systématique: elle possède un aspect formel et théorique qui mène à l’élaboration de modèle langagiers,
scientifique: procède d'une méthodologie rigoureuse et scientifique en vue d'élaboration de modèles théoriques,
descriptive (et non prescriptive): son but est de décrire la langue en elle-même, son fonctionnement et son usage.

1.3 Distinction langue, langage, parole

Parmi les distinctions terminologiques proposées par Ferdinand de Saussure au début de siècle dernier, celles de langue, langage et de parole se sont révélées particulièrement pertinentes et elles sont toujours utilisées de nos jours.

Langage: faculté inhérente et universelle de l'humain de construire des langues (des codes) pour communiquer. (Leclerc 1989:15) Le langage réfère à des facultés psychologique permettant de communiquer à l’aide d’un système de communication quelconque. Le langage est inné.

Langue: système de communication conventionnel particulier. Par « système », il faut comprendre que ce n'est pas seulement une collection d'éléments mais bien un ensemble structuré composé d'éléments et de règles permettant de décrire un comportement régulier (pensez à la conjugaison de verbes en français par exemple). La langue est acquise

Le langage et la langue s'opposent donc par le fait que l'un (la langue) est la manifestation d'une faculté propre à l'humain (le langage).

Parole: une des deux composantes du langage qui consiste en l'utilisation de la langue. La parole est en fait le résultat de l’utilisation de la langue et du langage, et constitue ce qui est produit lorsque l'on communique avec nos pairs. 

Selon Saussure, la langue est le résultat d’une convention sociale transmise par la société à l'individu et sur laquelle ce dernier n'a qu'un rôle accessoire. Par opposition, la parole est l'utilisation personnelle de la langue (toutes les variantes personnelles possibles: style, rythme, syntaxe, prononciation, etc.). 

Le changement de la langue relève d'un individu mais son acception relève de la communauté. ex.: le verbe « jouer » conjugué «jousent » est pour l'instant considéré comme une variante individuelle (parole), une exception, et il le demeurera tant qu'il ne sera pas accepté dans la communauté (les locuteurs du français québécois dans ce cas-ci).
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