jeudi 9 juin 2016

Introduction à la linguistique III



1.4 La langue comme phénomène en évolution (diachronie-synchronie):

L'une des propriétés les plus importantes et les plus intéressantes du langage est sa capacité à se modifier sur une longue période de temps. Même si nous avons parfois l'impression que les divers outils de description linguistique (grammaire, dictionnaire) fixent la langue à jamais, elle est en constante évolution. L’étude de cette évolution appartient au domaine de la linguistique diachronique (du grec dia-chronos "à travers le temps"). 

Il est donc possible d’affirmer que, par analogie, la langue est vivante. Ceci veut dire que l’utilisation que nos grands-parents, ou nos arrière-grands-parents faisaient de la langue n’est pas exactement la même que celle que nous en faisons. Par exemple, il est facile de voir une série de nouveaux termes qui ont été introduits par l’avènement des ordinateurs dans notre monde moderne. Nous parlons maintenant de courriels, d’autoroute électronique, de téléchargement, de foire aux questions, etc. Projetée sur plusieurs centaines d’années, cette évolution crée des modifications importantes de la langue. Les plus incrédules pourront visionner un film comme "Les visiteurs" ou aller voir une pièce de Shakespeare pour voir la dichotomie entre l'état de la langue à plusieurs siècles d’intervalle. 

Cependant, afin de faire l’étude d’une langue dans son évolution, il est nécessaire d’avoir une description de son état à un moment précis de son histoire (comme on peut superposer une série d'images pour en faire un film). Cette étude de la langue appartient la la linguistique synchronique (du grec sun-chronos "en même temps"). 

Dans ce premier cours d’introduction, nous ne traiterons majoritairement que des études synchroniques.

1.5 L’oral et l'écrit

L’approche analytique la plus commune au langage se fait généralement par sa forme écrite. Depuis que nous sommes touts petits, nous nous faisons corriger lorsque nous faisons une faute de grammaire, lorsque nous ne conjuguons pas correctement un verbe (ex.: ils jousent), lorsque nous utilisons un pluriel qui n'est pas exact (ex.: chevals), etc. Cependant, la linguistique ne s’intéresse que relativement peu à l’aspect écrit du langage et presqu'exclusivement à sa forme orale. Les raisons sont multiples, et en voici trois des plus importantes : 

a) le langage dans sa forme orale est apparu bien avant l’écriture dans l’histoire de l’homme

b) le langage existe d'abord et avant tout sous forme orale; il est appris d’abord sous cette forme par tous les enfants pour être ensuite enseigné dans sa forme écrite. Cela donne d’ailleurs lieu à des situations cocasses à l’occasion alors que des formes avec ou sans article peuvent être confondues: ex.: de l’asphalt ~ ?de la sphalt. De plus, il est possible de maîtriser très bien une langue et d'en ignorer l'orthographe (analphabètes). 

c) ce lien entre la langue écrite et la langue parlée, malgré le fait que c’en est un véritable, tend à diminuer avec le temps. L’orthographe a commencé à se fixer plus ou moins avec l'arrivée de l'imprimerie, mais les prononciations ont continué d'évoluer. La forme écrite n'a pu (et ne peut toujours pas) rendre compte de tous les changements de l'oral pour des raisons évidentes et tout à fait valables de normalisation. Pensons par exemple à la non prononciation des accents circonflexes (qui a maintenant disparue mais qui permettait d'opposer "faite" à "fête" par exemple), la disparition des triphtongues (eau) et des diphtongues (au, eu, ou, etc.), etc. 

En conséquence, la linguistique s’intéresse beaucoup plus à la forme sonore ou orale du langage qu’à sa forme écrite et, dans ce cours, nous ne ferons référence qu’à la forme orale du français, sauf avis contraire.

1.6 Deux questions importantes

1-Combien de langues y a-t-il dans le monde?

Cette question, pourtant si simple, ne connaît pas encore de réponse succinte. Il n'est possible d'y répondre qu'en amorçant une discussion de certaines notions linguistiques fondamentales. 

En premier lieu, il est nécessaire de distinguer ce qu'est une langue et ce qu'est un dialecte. Il est relativement facile de comparer le français et le grec par exemple, ou le français et le japonais et d’affirmer que ces codes sont différents. Les interlocuteurs de ces langues auraient grande peine à se comprendre et il leur serait impossible d'engager une conversation sensée sur un sujet particulier. 

Cependant, les frontières entre langues ne sont pas toujours aussi claires. Il existe des communautés linguistiques qui parlent des variétés de langues qui partagent un certain nombre de caractéristiques. Prenons l’anglais et le français par exemple. Pour des raisons historiques, une proportion significative du vocabulaire anglais est similaire à celui du français. Tout comme l’anglais de Grande Bretagne et celui du sud des Etats-Unis par exemple. Dans le premier cas, le reste des systèmes grammaticaux (système du verbe, syntaxe, etc.) sont suffisamment distincts pour justifier de les considérer comme deux langues distinctes, ce qui n’est pas le cas dans le deuxième exemple. Il est effectivement difficile d’imaginer que des locuteurs de l’anglais britannique et américain ne puissent se comprendre avec une relative aisance. 

Qu’en est-il cependant de locuteurs qui peuvent se comprendre un tout petit peu? Prenons l’allemand et l’anglais. Il est tout à fait commun pour un locuteur de l’anglais d’entendre un texte en allemand et de comprendre certains mots (et même parfois l’essentiel d’un texte). De façon similaire, les locuteurs du français peuvent comprendre une bonne partie d’une conversation en espagnol et vice-versa. Devrions-nous en conclure que ces codes sont des dialectes d’une même langue, au même type que l’anglais de Terre-Neuve et celui d’Irlande? Certainement pas. Mais il est important de réaliser que la distinction entre langue et dialecte d’une même langue n’est pas toujours aussi claire que nous le désirons. Dans tous les cas, il est nécessaire de procéder à un examen minutieux des codes utilisés par une communauté linguistique avant de pouvoir affirmer qu’ils appartiennent à deux dialectes ou langues différents. 

En deuxième lieu, quiconque désire déterminer avec exactitude le nombre de langues dans le monde se heurte à un obstacle de taille: l’absence de connaissances sur une majorité des langues sur la terre. Il existe en effet relativement peu d’information disponible sur les langues retrouvées en Afrique, en Amérique du Sud et en Nouvelle-Guinée par exemple. Ce manque de connaissances rend très difficile la différenciation entre dialectes et langues distinctes dans ces régions où certaines de ces langues sont parfois même connues sous différents noms.

En troisième lieu, l’identification de langues dépend également de considérations culturelles, historiques et politiques. Dans certains cas, une même langue sera considérée comme différente par deux états qui lui ont donné un nom différent. C’est le cas du malais et de l’indonésien qui sont respectivement les langues de la Malaisie et de l’Indonésie, et de l’hindi et de l’ourdou qui sont parlées en Indes et au Pakistan (Builles 1998 :48).

Pour ces raisons (et pour d'autres non présentées ici), il est très difficile de déterminer avec précision le nombre de langues parlées par la population mondiale. La plupart des estimations dénombrententre 3000 et 8000 le nombre de langues sur la terre. Nous pouvons estimer raisonnablement le nombre de langues à environ 4000. 

2-Depuis quand les humains communiquent-ils en utilisant une langue? 
La seule façon de répondre de façon précise à cette question serait de retourner dans le temps. Comme c'est bien évidemment impossible à faire, il nous est obligé de spéculer à partir des indications qui ont résisté à l’épreuve du temps et qui sont encore disponibles pour examen. 

L’écriture peut nous permettre de situer avec certitude qu’à un moment précis les hommes savaient écrire et qu’il utilisaient déjà un système de communication sophistiqué. Les plus vieux de ces documents, découverts sur les territoires et de l’Iran et de l’Iraq, datent environ de 3000 à 2000 ans avant notre ère (Builles 1998 :49). Cependant, il nous est impossible de dater l’apparition des langues qui n’ont jamais été écrites ou dont les supports visuels n’ont pas survécu au passage du temps, ou qui n’ont simplement pas été encore découverts. Qui plus est, considérant que les langues complexes ont certainement été parlées et utilisées bien avant qu’elles ne soient écrites, la datation de leur apparition est d’autant plus hasardeuse. 

Une autre approche a été adoptée par certains chercheurs qui ont utilisé les connaissances physiologiques pour y arriver. Il est possible de postuler que l’apparition de la parole est reliée de très près à certains changements physiologiques de l’appareil articulatoire chez l’humain. Certains chercheurs ont porté attention particulièrement à la position basse du larynx chez certains squelettes humains qui serait apparue il y a environ entre 400 000 et 300 000 ans avant notre ère chez l’Homo sapiens. 

Quoique prometteuses, ces pistes de recherche ont fourni des indications qui n’ont permis pour l’instant que l’élaboration d’hypothèses qui nécessitent vérification.

1.7 Références et lectures complémentaires

• Builles, J.-M. (1998). Manuel de linguistique descriptive : Le point de vue fonctionnaliste, Paris : Éditions Fernand Nathan. 
• Garric, N. (2001). Introduction à la linguistique, Paris : Hachette. 
• Walter, H. (1988) Le français dans tous les sens, Paris : Éditions Robert Laffont.
• Walter, H. (1997) L’aventure des mots français venus d’ailleurs, Paris : Éditions Robert Laffont.
• Walter, H. (1994) L’aventure des langues en occident, Paris : Éditions Robert Laffont.
• Walter, H. (1998) Le français d’ici, de là, de là-bas, Paris : JC Lattès.

1.8 Exercices de révision

1) Donnez tous les champs d’étude traditionnels de la linguistique; donnez-en une définition brève mais complète.

2) Donnez 3 champs d’étude non traditionnels de la linguistique; donnez-en une définition brève mais complète.

3) Résumez brièvement mais clairement les distinctions terminologiques effectuées dans la présente section et donnez des exemples pour les illustrer.

4) Expliquez pourquoi la linguistique s'intéresse plus à l'oral qu'à l'écrit.

5) La langue écrite constitue normalement la "norme", la référence ultime en matière de langue. Compte tenu de la prédominance de l'oral sur l'écrit, comment peut-on expliquer ce fait? Donnez votre opinion.

6) Donnez et expliquez brièvement le but des études linguistiques.

7) Donnez une évaluation du nombre de langue naturelles dans le monde. Commentez.

8) Est-il possible de dire avec précision à quel moment l'humain a commencé à utiliser une langue? Commentez.

9) Dites ce qu'est la grammaire, au sens linguistique. Donnez un exemple d'énoncé grammatical et un exemple d'énoncé agrammatical.

10) Si le travail des linguistes est de décrire et d'expliquer le fonctionnement de la langue et du langage et non de prescrire, comment doit-on considérer la notion de "norme"? Est-il valable et nécessaire d'avoir une norme? Si oui, pourquoi? Quel est le rôle des linguistes dans la définition de cette norme?
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